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Clichy sous bois : les dérives de l'argumentation sociologique à la française

Sans avoir besoin d'entrer dans le détail de l'irruption, de toute façon indéfini jusqu'à présent tant les interprétations divergent, il semble qu'au moins une chose ne peut guère se justifier, y compris par la plus solide des raisons sociologiques : le fait qu'un différend, aussi tragique soit-il, puisse dégénérer en émeute s'en prenant, avant tout, aux biens d'autrui.

D'autant que la misère, la discrimination, ne peuvent expliquer, à elles-seules, une situation qui conjugue la violence des gangs hispano-afro-gaucho-américains des années 1970 à la fin des années 1980 (à L.A, NY, par exemple), celle des autonomes façon Seattle et Milan en fin de siècle (1999), celle enfin des intifada impulsées par la feu OLP.

On entend moins cependant parler d'une violence de cette nature aux USA actuellement. Pourtant la misère n'en reste pas moins présente, surtout au vu de ce que l'on peut lire à longueur de pages en France, non seulement dans les médias mais aussi au sein de revues très sérieuses en matière de sociologie, et ce de telle sorte d'ailleurs que l'on se demande souvent pourquoi tant de gens de par le monde désirent rejoindre l'"enfer" américain (ou l'Europe "ultra-libérale" s'agissant des africains se pressant ces temps-ci aux frontières hispano-marocaines).

Est-ce à dire que le phénomène de gang, l'économie parallèle, qui sous-tendaient comme micro-structures organisationnelles, les émeutes américaines des années 70 à 90, ont disparu ? Sûrement pas, mais on peut avancer en même temps l'hypothèse que d'autres phénomènes sont apparus, permettant aux confrontations de se vivre sous un autre jour. Comme par exemple le recyclage et blanchissement vers les industries du disque et de l'image en s'appuyant sur le constat suivant : la structure du gang freine la transformation sociale, et donc l'évolution vers des situations meilleures.

En gros l'aspect défensif des années 70-90 aux USA, impulsé par l'analyse radicale de certains anciens défenseurs des droits civiques et de vieux étudiants ayant lu Lénine sur le tard, ne répondait pas et de moins en moins aux passions populaires de l'époque désireuses d'être de leur temps, celui de la techno-urbanité qui, à terme, ne peut se satisfaire des seules défonces et frustrations devant la montée en puissance des industries du disque, de l'image (porno compris), du sport, (même si la Silicon Valley et le commercel international étaient hors de portée), nouveaux terrains qui montraient de plus en plus qu'autre chose était possible en terme de reconnaissance et donc de "réussite" sociale.

Autrement dit, si l'on admet que la misère n'explique pas tout comme "cause" ultime des situations d'émeute en milieu urbain, il faut creuser vers d'autres facteurs bien vus en leur temps par les sociologues américains, en particulier ceux s'articulant autour du besoin de reconnaissance sociale. Surtout dans un univers où l'avis de l'animateur radio a plus de poids que celui des parents ou du prof. Sauf que l'on ne peut guère y répondre en installant seulement des cours supplémentaires, ignorant l'importance des clubs socio-culturels mis en concurrence par des concours au sein de structures scolaires s'auto-gérant, sans oublier le rôle du sport scolaire comme critère de mérite (on n'adhère à l'équipe première au Royaume Uni ou aux USA que par le biais de ses bons résultats dans les autres matières).

Or, qu'a-t-on installé en France à la place qui auraient également permis d'éviter les effets pervers de la fascination médiatique (en la banalisant) ? Quelques stades et endroits désuets fermant à l'heure syndicale des employés municipaux et leurs 32 heures, des défouloirs en somme. Pas du tout des structures qui auraient permi qu'une génération s'essaye et se séduise dans des micro-radio et tv locales, les échanges nationaux et internationaux (comme les écoles de commerce savent le faire). Le tout distillé très tôt dans les lycées et les facs, ce qui aurait créé des réseaux " d'Amicales" permettant de constituer par exemple des apprentissages multiformes dans ces nouveaux univers de la représentation, mais aussi du commerce international (design, mode, micro-technologies, tout ce qui échappe encore à la Chine).

Au lieu de cela tout se fait à sens unique en France. Au niveau culturel et médiatique par exemple, (vecteurs qui ont détourné l'univers guerrier des gangs américains) les meilleurs éléments (au sens physique également) sont happés par les médias et indutries centralisées existantes ("pop star", "star academy", la "nouvelle star" etc), version popu de l'Ena et des grandes écoles, fuyant la "zone", croyant qu'il suffit d'abandonner leurs origines pour "réussir", laissant le reste coincé entre la frime néogauchiste des petits bourgeois nihilistes façon Canal et la montée d'un intégrisme alter-islamiste tentant de répondre à la nouvelle séduction vidéo de la marchandise par la fermeture et l'enfermement diabolisant évidemment la jeune fille sexy dont l'avatar se balade déjà et en permanence sur mtv et...seulement là...Alors que la multiplication des scènes permettrait la diffusion de l'énergie urbaine ainsi érotisée médiatiquement, mais aussi dans la rue, sa concurrente par défaut, au lieu de la laisser être confinée (comme d'habitude) dans le droit de cuissage néo-seigneurial de la centralité parisienne.

Il n'est pas étonnant dans ce cas que dans les métiers de maintenance certains issus de l'immigration se réfugient dans le refus, se protègent par des signes religieux, refusant ainsi de choisir entre l'alcoolisme, la drogue non choisie mais rendue obligatoire pour oublier les soucis, l'addiction au porno pour compenser ce manque de reconnaissance sociale ; croyant cependant que ces effets pervers du centralisme et son absence d'effort en matière d'instruction civique sont le tout des échanges sociaux et humains des sociétés démocratiques.

C'est pourtant ce que leur chantent de plus en plus les forces de l'islamisme radical et de l'altermondialisme bakounino-trotskiste à la recherche d'une chair à canon pour les premières lignes (électriques).

Car que voit-on en France en terme d'alternative politique à cet état de fait (même s'il faudra préciser, peaufiner les détails) ?

-Un délabrement de la pédagogie et de l'instruction publique, de la civilité, qui interdit de prendre en compte la présence d'un tel décalage symbolique et de forger les moyens de le combattre. Alors qu'il s'agit de prendre au sérieux la fabrication des croyances qui accompagnent le moindre geste humain.

-Une centralisation quasi seigneuriale des grosses entreprises, des médias et de l'animation culturelle avec de grosses unités de production publiques et privées qui s'accaparent toute la fabrication des émissions (même si Internet tente de la secouer un peu).

Au niveau par exemple de la fabrication des croyances, le ministère de la Culture joue de plus en plus un rôle pervers en la matière, subventionnant par exemple uniquement l'art nihiliste, mettant des bâtons dans les roues aux fondations privées comme celle de Pinault, (puisque l'Art en France c'est uniquement la section nihiliste postmoderne et déconstructionniste financée par l'argent des contribuables). Alors que cet art, par ses excès, alimente l'intégrisme, tout en le défendant par le relativisme culturel et le communautarisme que même un Sarkozy partage désormais.

Ce refus du politique à sortir des sentiers sociologiques habituels se perçoit dans le fait de ne pas prendre à bras le corps les effets pervers de cette techno-urbanité qui rend plus enviable l'impasse soft (mais supposé sexy) d'un emploi subalterne dans une station de radio ou dans l'Administration que l'apprentissage d'un métier dont une formation permanente permettrait de prendre en charge l'évolution sociale et économique (comme cela se passe dans les entreprises américaines tant décriées, ne parlons pas de leurs avantages sociaux qui feraient pâlir notre fameux modèle "social"prenant eau de toute part).

Que voit-on également en France et voilà le plus grave, en particulier dans ces quartiers les plus sensibles à ce besoin de reconnaissance sociale ? Une frange non négligeable d'intellectuels et de sociologues se mettre de plus en plus à agiter les idées fausses des dites conséquences "postcoloniales" comme cause unique du défaut d'intégration et d'enfermement dans l'économie parallèle de plus en plus manipulée par les gangs et les réseaux islamistes.

Loin d'analyser la multiplicité des facteurs et la nécessité de comparer avec ce qui se passe ailleurs, la supposée causalité unique s'est alors déplacée en priorité vers la manipulation de l'Histoire.

Tout en s'appuyant sur l'irresponsabilité politique, celle de ces gouvernements français qui alimente financièrement une bombe à retardement comme "l'Institut du monde arabe" dont le venin distille des contre-vérités auprès des jeunes éléments instruits des nouvelles générations de nords africains.

Par exemple en expliquant que l'Algérie, le Maroc, doivent leur état actuel à la colonisation, remontant jusqu'aux croisades pour expliquer l'origine d'une accumulation primitive qui aurait forgé l'état actuel des démocraties européennes, tout en laissant exsangue les pays d'Afrique, nord et sud compris, faisant ainsi l'impasse sur 45 ans de gabegies et de mal gouvernance (avec la complicité de certains gouvernements français, mais ceci n'en est pas la cause majeure).

Le mensonge, la manipulation, les contre-vérités sur la situation au Proche Orient, sur l'Histoire de cette région, de la colonisation, alimentent nécessairement l'imaginaire de ces jeunes générations au devenir bloqué par ceux-là mêmes qui leur désignent des bouc-émissaires faciles pour compenser : la bagnole du voisin, le juif comme résidu du pied noir ou colon.

Les gosses à l'esprit chauffé à blanc par leurs aînés (d'autant qu'ils sont confinés au rang de spectateurs à l'école, dans l'univers médiatique, dans la société étatico-paternaliste française) ont beau jeu dans ce cas d'accepter plus ou moins la manipulation de groupes invisibles soucieux de faire à Clichy sous bois le coup de Sétif en drainant les affrontements autour d'une salle de prière musulmane. Cherchant ainsi à ce que la répression policière fasse de la surenchère et que l'énergie frustrée par toute la gabegie décrite (à grands traits) plus haut se transforme en énergie arafatienne pour la conquête de moins en moins souterraine des "territoires perdus de la République".

Nous en sommes là : dans une faillite de l'explication sociologique classique centrée uniquement sur "la" cause socio-économique (alors que les passions humaines ont aussi d'autres motivations), dans le refus politique d'observer que, pendant ces temps de cécité, des forces radicales tirent les ficelles pour s'emparer de l'univers symbolique des millions de personnes issues de l'immigration africaine et nord africaine. Alimentant ainsi la montée de l'extrême droite en réaction. Le 29 mai était la continuité de 2002 en réalité. 2007 en sera-t-il le bouquet final ?

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