Nouvelles questions à partir de la crise des otages français

Une incrédulité s'empare de mon bon sens, -ne parlons pas de ma réflexion encore plus sceptique-, même si son intuition peut être démentie d'un moment à l'autre par une libération des otages français qui conforterait par ailleurs le diagnostic de tous les docteurs es experts en islam et proche-orient : tout est la faute des Américains et des israéliens, l'islamisme est en déclin, le tout dit pour certains ayant pignon sur rue avec des ourlets bien sûr, académisme oblige.

Mais, soit, prenons le risque d'être tourné en ridicule puisque certaines questions persistent, têtues, disait l'autre, au-delà du dénouement de cette crise récente.

D'après les dernières informations en ce samedi 4 septembre 2004 au soir (et alors qu'il fait si bon à Paris) la libération des deux journalistes auraient été retardé "à cause d'un manque de sécurité"...Traduction ? Les otages seraient à Falloujah (plus tard on parla de Bagdad et ensuite de Latifiya...) or, les forces de sécurité irakiennes secondées par la force multinationale font précisément ces temps-ci une offensive, ce qui rend donc nerveux les preneurs d'otages -cqfd; otages quant à eux toujours retenus en fin de compte par l'armée islamique d'Irak, mais dont certains, sur Beur.fm et à El Watan à Alger, pensent cependant qu'ils sont noyautés par le Mossad et la...CIA : of course...

Mon incrédulité se loge soudain de façon abrupte, un peu à la façon d'une intime conviction car de deux choses l'une. Si la cause de cette insécurité est principalement en fin de compte "américaine" (ce qui est loin d'être le cas à Kircouk par exemple), pourquoi Chirac n'a-t-il pas téléphoné à Bush et à Allawoui pour leur demander d'y aller doucement un jour ou deux ?

Plus rigoureusement, comment se fait-il que ce groupe, l'AII, puissant au vu de palmarès, ne peut-il pas décider au petit matin de relacher ces prisonniers ? Il ne manque pas de caves, de conduits souterrains, construits par les sbires de Saddam mais aussi par les djihadistes, qui permettent de faire passer deux hommes, déguisés en femmes voilées par exemple.

La question de l'insécurité ne tient pas, du moins pas à elle seule. A ce stade plusieurs hypothèses sont donc possibles et dans ce cas la réflexion vient appuyer l'intuition du bon sens par l'observation du suivi ci-dessous:

-La thèse dominante des experts (français) es-djihad consiste à dire qu'il s'agit d'une erreur : les deux journalistes auraient été pris pour d'autres, au vu de la politique générale de France dans la région, et la revendication sur l'abolition de la loi sur le voile une demande de circonstance. Dans ces conditions, et pour ne pas perdre la face, ce groupe l'aurait confié à un autre, moins radical, donc plus à même d'entrer dans le jeu traditionnel du panarabisme etc, mais il demanderait de l'argent, ce que personne ne dit, mais tout le monde y pense.

Par la suite cette thèse fut démentie par l'AII. Admettons que ce démenti soit plausible et que l'AII existe en tant que structure indépendante du Mossad et de la CIA, je sais que c'est très dur pour certains d'admettre de tels présupposés (tel Thierry Meyssan), mais cela ne coûte rien de faire une hypothèse de ce type. Quelles en seraient les conséquences? Au moins celle-ci : ce groupe aurait des exigences autres que monétaires mais également politiques. Lesquelles? Mis à part la question du voile, il y a bien sûr celle de la présence de la France en Afghanistan et le soutien, du bout des lèvres, mais soutien tout de même du processus politique enclenché par le gouvernement intérimaire.

On peut rétorquer que rien ne vient étayer cette hypothèse. Ecartons cette objection en avançant que selon notre idée l'AII existe, et s'il s'agit d'un groupe djihadiste, il n'y a aucune raison d'écarter d'emblée le fait que ce groupe ait non seulement une stratégie à long terme, mais qu'il a aussi des alliances avec la mouvance benladeniste qui, elle, a intérêt à faire pression sur la participation française à la traque de Ben Laden. Dans ces conditions l'hypothèse est crédible et peut devenir probable d'ici quelques temps lorsque nous serons par quelques biais ce qui se passe réellement autour des otages français.

Terminons par deux remarques : la première a trait à nos experts es-islamisme : autant certains peuvent admettre l'existence du djihadisme en tant que structure indépendante en Tchéchénie, en Arabie, autant son existence en Irak est seulement liée à la présence anglo-américaine prétextant qu'il n'existait pas sous Saddam. Certes. Mais est-on sûr qu'un effondrement sui generis à terme du régime Baathiste à la suite du système de sanctions, sanctifié par l'ONU, n'aurait pas créé une telle opportunité pour des gens qui veulent poursuivre le rêve de Saddam sous une autre forme: s'emparer du Koweit et de l'Arabie pour que leurs ressources servent à la création d'ADM ?

Cette hypothèse contredit bien sûr la certitude du Quai d'Orsay imbue d'on ne sait quelle science infuse pour considérer que l'islamisme serait uniquement la conséquence du conflit israélo-palestinien et de l'arrogance américaine ; sauf que cette hypothèse, celle du Califat, s'appuie sur des faits, telle la première guerre du Golfe, et le fait, reconnu par le dernier rapport du Sénat américain sur les couacs du 11 septembre, que Saddam cherchait bel et bien à se fournir en uranium...

Seconde remarque : il est toujours de bon ton de parler de fiasco à propos de la guerre en Irak, Gilles Kepel vient d'apporter sa contribution en ce sens. On peut aisément rétorquer que beaucoup de forces s'allient désormais pour que ce fiasco se réalise.

Par ailleurs il n'est guère crédible de laisser accroire que la présence anglo-américaine et leurs alliés serait, à elle seule, la cause même de la déliquescence mafieuse alors qu'elle est le vecteur habituellement perceptible dans les Etats totalitaires puisque la structure mafieuse reste le seul moyen parfois pour que la société civile survive, pour le meilleur comme pour le pire, lorsque tout est accaparé par le clan au pouvoir. Enfin, l'idée de faire une pierre deux coups : éliminer un danger et introduire une dynamique démocratique en Irak, n'était pas, en soi, une mauvaise idée, surtout si l'on considère que c'est bien plus la dégénérescence du nationalisme arabe qui est la conséquence du mouvement djihadiste (relancé depuis le 11 septembre et le 11 mars) que la crise israélo-palestinien issue en priorité du refus arabe de reconnaître l'existence de Juifs vivant en dehors du cadre islamique.

Néanmoins, l'on peut se poser des questions sur les conflits internes aux Républicains américains dont la vivacité a sans doute été un frein à une bonne évaluation de l'après guerre en Irak. En gros, il se pourrait bien que ceux que nos experts en es-islam appellent avec un brin de mépris (et d'envie) les "néocon" aient été en réalité courtcircuité par les cryptoconservateurs genre Cheney et Rumsfeld dont l'idée était moins de transformer l'Irak en modèle démocratique (mais ils n'en écartaient pas l'idée, telle la cerise sur le gâteau) que d'y constituer un abcès de fixation (une focalisation) qui attireraient les djihadistes et les écarteraient de fait des USA, ce qui semble en effet être le cas.

On peut regretter cette stratégie à court terme qui s'est caractérisée par un nombre minima de soldats, un refus d'en appeler à l'organisation d'élections dès juin 2003, une perte de temps considérable dans l'organisation autonome de l'embryon d'Etat irakien.

La France aurait pu, si elle avait fait le bon choix en envoyant des soldats comme l'ont fait des pays aussi divers que l'Italie, le Danemark, la Pologne...(mais le pouvait-elle avec un Quai d'Orsay tel qu'il est ? ), créer une dynamique différente en expliquant l'enjeu stratégique de l'existence d'Etats démocratiques au Proche Orient.

La France, (comme le monde), est aujourd'hui confrontée à une mutation certes dégénérée mais en même temps historiquement légitimée par la chronique de la prise de pouvoir en islam, alors que la France n'est armée que d'une politique étrangère, en particulier proche orientale, archaïque et aveugle.

LSA Oulahbib

Voir également :

Réflexion sur le meurtre (des Népalais) en Islam...

Otages français : crise de longue durée ?

Révélations des amis islamistes du Quai d'Orsay

Pourquoi le dieu des musulmans n'est pas le même dieu que celui du judéo-christianisme