Tribulations d’un new-yorkais égaré en France

Par Jeffrey Robert Arsham

Le consensus français anti-Bush n’admet pas de fissure ; un véritable bloc de glace s’oppose de plus en plus à toute tentative d’élucider les ressorts de la politique étrangère de l’administration américaine actuelle. Pour peu qu’on essaie d’en exposer les tenants et les aboutissants, on passe pour le porte-parole de personnes infréquentables.

Aujourd’hui, j’ai reçu d’un honorable écrivain avec lequel, de 1985 jusqu’à 2001, j’avais entretenu un échange épistolaire assez riche, la réponse suivante à mes vœux dont l’envoi date du début du mois :
« Jeffrey, Je vous souhaite une heureuse année, mais je ne vois pas le moyen de correspondre avec un partisan de Georges (sic.) Bush. Sincèrement, X »

Ces 20 mots appellent les observations suivantes :

- « Bush », ce n’est guère autre chose qu’une sorte de cristallisation de fantasmes anti-américains, c’est leur distillation, c’est l’abcès de fixation auquel s’arrime une psychose collective dont les ravages vont bien au-delà des frontières délimitant l’Hexagone.

- Dans de nombreux écrits j’ai mis les points sur le « i » ; c’est en tant que démocrate américain depuis toujours que je m’opposais au refus français quasiment unanime du changement de régime en Irak ;

- Celui qui « ne voit pas le moyen de correspondre » se campe dans un refus opiniâtre du dialogue conflictuel. Depuis trois ans j’appelle de mes vœux le débat sur les sujets qui fâchent, alors que c’est le principe même de cette discussion qui est écarté d’un revers de la main.

Hier soir, j’ai assisté au repas du personnel de la ville que j’habite ; c’est en répondant de manière convenue aux vœux de plusieurs chefs de service que Monsieur le Maire, un socialiste bon teint, a pris la parole. Ayant remercié lesdits responsables, cet homme – qui est également médecin généraliste - a tiré à boulets rouges sur la possible privatisation, même partielle, de la Sécurité Sociale » ; face aux « forces effrénées du marché », le service public ferait office de « dernier bouclier »… Une telle charge, j’en suis persuadé, est de bonne guerre.

Les remarques suivantes détonaient d’autant plus : « Que dire des milliards dépensés à larguer des bombes qui tuent des Irakiens ? » Une présentation si caricaturale et caractérielle me faisait frémir et rager ; comment un élu habitué aux sciences rigoureuses qui s’exprime à titre officiel devant un parterre de 750 concitoyens peut-il se laisser aller jusqu’à un tel degré d’approximation, voire de désinformation ? Le pire, peut-être, c’est qu’apparemment, nul ne trouvait à redire, alors que de tels propos n’étaient pas de bonne guerre ; citoyen américain, je me suis senti moralement poignardé dans le dos (à ce propos je pense également aux infâmes prestations onusiennes de Villepin de février 2003, au moment où il jouait effrontément la carte anti-américaine…).

C’est à partir de février 2003 que mes relations avec de nombreux intellectuels français, dont tous ne sont pas « de gauche », se sont gâtées au point de devenir inexistantes ; de leur point de vue, j’étais tout bonnement rayé de la carte (ou plus précisément, du carnet d’adresses). De toute ma vie, je n’avais jamais connu ce type de mise au ban confinant à l’ostracisme ! Et il n’y a pas de happy end, c’est le moins qu’on puisse dire.

Jeffrey Robert Arsham
le 22 janvier 2005

Voir également du même auteur :

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