Tuez-les tous !

André Glucksmann n'avait en fin de compte aucune raison de s'inquiéter en toussant si profondément lorsque le film de son fils, Raphaël, et deux de ses amis, David Hazan et Pierre Mezerette, commença de démonter, dans la belle salle comble (dont Jane Birkin, Dominique Moïsi...) du cinéma l'Arlequin, les rouages du génocide Tutsie effectué au Rwanda par certains Hutus, au vu et au su de tous, USA compris, sous les auspices de la Belgique, avec la bénédiction et même le soutien de la France, gauche, droite, confondues....

André n'avait pas à s'inquiéter pour Raphaël, David, Pierre, et tous ceux qui les ont aidé parce que ce film fut si limpide, si bien fait, que j'ai pu enfin comprendre de quoi exactement il en retournait.

En un mot, ce n'était pas une guerre inter-ethnique mais une extermination de l'élite, les dénommés Tutsies, effectuée par certains envieux soucieux de dresser le peuple, les dénommés Hutus, contre elle, en transformant cette division sociale en division raciale.

La séparation des deux groupes n'étaient d'ailleurs pas si franches et un Hutu pouvait fort bien devenir Tutsie, même si cela n'allait sans doute pas sans mal, comme dans toute société qui se doit de rechercher la justesse de sa division en deux, élite, peuple, au lieu de vouloir sa suppression comme Marx le croyait dans un hyperchristianisme illusionniste, celui des Thèses sur Feuerbach.

Pourquoi ? Le film percute pour moi lorsqu'il me permet d'énoncer cette réflexion plus générale sur l'échec de l'explication marxiste :

Parce que cette division en deux, élite/peuple, ne signifie pas une division aussi simpliste qu'entre dominants/dominés, intégrés/exclus car ces couples de césures se nichent, eux, au coeur de tous les rapports sociaux, au sein de la plus haute élite comme du plus bas échelon du peuple, jusqu'aux rapports intimes : elles relèvent de données non uniquement socio-historiques mais aussi psycho-biologiques en ce qu'elles exposent la condition d'accepter ou de refuser la volonté d'autrui.

Or, si l'on ne réduit pas la division élite/peuple à ces césures, l'observation approfondie montre qu'elle répond en réalité à une nécessité ontologique du Groupe : celle de faire en sorte que les fonctions sociales nécessaires pour sa conservation et son développement soient occupées par ceux qui sont convaincus de les vouloir vraiment ou qui se forment pour ce faire ; tout en laissant cependant semi-ouvertes les conditions d'admission afin d'éviter la dégénérescence de l'aristocratie en oligarchie héréditaire, et de nos jours la chute de la méritocratie en "mafiocratie" en ce corporatisme bureaucratiquement dégénéré que nous connaissons aujourd'hui en France.

Les envieux au Rwanda avaient d'ailleurs sans cesse en référence la Révolution française pour justifier les flots de sangs à coup de machettes. Comme Lénine lorsqu'il fit massacrer des centaines de milliers de gens sous la houlette de Trotsky avant d'en liquider des millions, Staline parachevant la suite. Mao continua en exacerba l'ordre de grandeur (100 millions lors du Grand Bond en avant)...

Au Rwanda, le massacre se contenta d'éliminer 800.000 à un million de Tutsies et de Hutus modérés. Dans l'indifférence générale. Les serfs se révoltent contre les seigneurs aurait dit Mitterrand à Bernard Kouchner interviewé dans le film. Piètre excuse évidemment, surtout lorsqu'il n'en est rien. Pendant ce temps, le Quai d'Orsay (encore lui) loucha méchamment sur l'Ouganda anglophone, base arrière du Front Patriotique Tutsie composé de réfugiés qui s'était construit en structure alternative, Le Quai chercha à lui barrer la route en soutenant en sous-main les envieux légalement au pouvoir, pensant ainsi réduire l'influence anglosaxonne, alors qu'il empêchait en fin de compte la seule force capable d'arrêter le génocide ! Je n'invente rien, c'est dans le film, voyez comme il est juste.

Cette politique, désastreuse, au lieu de grandir la France renforça par là même la zone anglophone.

Il faut espérer que ce film puisse trouver un distributeur en France, ce qui ne semble pas le cas tant les pressions sont fortes pour empêcher que la responsabilité française éclate au grand jour. Mais sans aucun doute, il mérite le meilleur Oscar du film étranger, Hollywood ne pourra pas s'en remettre à Moore cette fois pour fabriquer du populisme démagogique et tranquille : Bush fils n'était pas au pouvoir.

LSA Oulahbib