MAIS QUE DIABLE ALLAIT-ON FAIRE AVEC BERNARD KOUCHNER ?

ParJane Benigni* (lire la réaction de Pascal Bruckner, et des suivantes -Oulahbib,Tessart,Doukhan,Pilczer,Lipszyc,Corcos,Benigni, Leconte, Medioni, Tanugi, Bourgeois, Bruckner, Lebeau - à la suite)

Ce mardi 15 juin 2004, BK était l'invité de Florence et Michel Taubmann du Cercle de l'Oratoire à Paris.

Dès 20h30, accueilli en grand silence par un public attentif, Bernard Kouchner commence une longue litanie de récriminations contre les Américains, litanie qu'il prétend abréger mais qui va cependant meubler l'intégralité de son discours.
"Les Américains n'ont pas su faire" , "Ils se sont fait détester" , "Il fallait prévoir ceci et cela…" (En somme, Bernard Kouchner aurait préféré une guerre humaine? Petite sœur de la guerre propre ? )

"Les attentats continueront" "la participation de Sadr est un bon point"
Suivra un survol rapide des dictatures de la région, et un coup de griffe au passage au gouvernement démocratique israélien (ça ne mange pas de pain, quoique, et chaque être bien pensant se doit de s'identifier de la sorte!) .

La première intervention viendra de Lucien Samir Oulahbib qui rappelle que le 11 septembre 2001 a placé les Américains au centre de la stratégie mondiale de l’arabo-islamisme ayant fusionné nationalisme arabe et islamisme comme l’a montré l’invasion du Koweït en 1991. Oulahbib souligne ensuite que la France à sa part de responsabilité dans les erreurs tactiques américaines du fait de son opposition systématique qui a empêché une participation critique à la Coalition.

Kaveh Mosheni, (mouvement des étudiants iraniens) observe pour sa part que :

" Les Iraniens aiment les Américains!, et de nombreux Irakiens aussi… La France a toujours fait comme si l'Iran était paisible, qu'il ne s'y passait rien; Pourquoi la France ne nous aide -t-elle pas à devenir un pays démocratique? "

Bernard Kouchner:" Mais vous ne voulez pas qu'on envahisse tous les pays?"

Kaveh Mosheni: " mais les Iraniens ne savent même pas que vous existez!"

Bernard Kouchner tente alors de démontrer à Kaveh Mosheni que c'est la France qu'il faut aimer, que les Américains s'y prennent mal…

Ce à quoi André Sénik lui réplique: " Ce n'est pas de la faute des Américains s'ils n'ont pas d'expérience coloniale!"

RIRES

Ismaïl Kamandar Fattah: (irakien) " Il ne faut pas donner autant d'importance à Sadr, le vrai danger, c'est le danger baasiste, l'opération américaine a été salvatrice pour les Irakiens, Clinton n'avait rien fait. On n'a pas su aménager l'armée dans la reconstruction; On n'a pas su donner le pouvoir aux résistants pour que les anciens baasistes aient peur de leurs victimes ".

Antoine Basbous: " Le risque, c'est une guerre civile entre chiites, sunnites et kurdes; Qui va garder les frontières? cette année a été une année pour rien; Je crains que les Américains ne disent :- Les Européens, débrouillez vous!"

Bernard Kouchner: "il n'y a pas de réjouissance en Irak"

Pierre Rigoulot lui répond: " Je ne suis pas d'accord avec cette réputation anti-américaine:

Vous êtes passé à toute vitesse sur les acquis.
La presse, le commerce fonctionnent; vous avez dit que ça ne pouvait pas aller plus mal, je ne suis pas d'accord. Vous avez parlé de magouilles, c'est faux, les hommes qui ont été choisis ont des compétences. Le problème qui se pose, c'est la transformation de la donne au Proche Orient.

Ismaïl Kamandar Fattah. : "Il est nécessaire d'instaurer un service du renseignement, nous sommes face à une telle quantité de criminels baasistes! On ne fait pas la démocratie avec des sourires! Nous avons souffert pendant des décennies, ce n'est pas pour mettre des technocrates au pouvoir."

Ilios Yannakakis : " Il y a aujourd'hui une police en Irak, 7 écoles de police fonctionnent; il y a une université bourrée d'étudiants. Les Irakiens sortent, achètent, il y a une vie, une gestion locale, la démocratie locale monte progressivement.
Oui, les américains ont commis des erreurs mais les irakiens veulent que les américains restent jusqu'à la consolidation. La majorité des irakiens ont honte de cette violence.
Pessimisme, erreurs certes mais espoir."

Philippe Gaudin: " l'enjeu serait le "magot théologique" comme le dit Glucksmann. Et le but de l'intervention, la déstabilisation de l'Arabie saoudite."

Antoine Basbous: "Il y avait deux projets: Changer la gouvernance à partir de l'Irak, et valoriser les réserves de pétrole pour pouvoir regarder l'Arabie en face et lui demander des comptes
Bilan: Rien n'a changé et les attentats nuisent aux exportations pétrolières.
L'Irak est frontalier de 6 pays islamistes et Ben Laden mène un combat à l'échelle de l'Irak.
Qu'en sera-t-il de l'après guerre?"

Le Président de l'Institut Kurde de Paris: " Si on laisse ce pouvoir qui est en train de s'installer, croyez vous que la France va venir nous protéger?"

RIRES

Il ne faut pas voir que le négatif dans l'intervention américaine: Les Kurdes se sont révoltés en Syrie, et grâce aux Américains, on n'a pas été massacrés. Il faut trouver une solution avec le Américains."

Ismaïl Kamandar Fattah.: "La Syrie se sentait menacée par l'intervention américaine.
La Syrie n'a pas cessé de mettre des bâtons dans les roues, et le pire, c'est qu'elle mobilise l'opinion arabe, libanaise, palestinienne pour torpiller jour et nuit l'expérience irakienne.
La Syrie mène un courant pour combattre la démocratie en Irak."

Bernard Kouchner: "Vous êtes optimistes, je suis pessimiste, j'espère avoir raison" (Lapsus?) :

RIRES

"Si les américains se retirent, c'est dramatique, blablabla, nous pourrons peut-être un jour saluer l'intervention américaine"…

Ismaïl Kamandar Fattah.: "Nous pouvons la saluer déjà!!!"

Michel Taubmann: "Partout ailleurs, gauche et droite divergent, sauf en France ou le débat est idéologique et semble surréaliste vu de l'extérieur.
Bernard, que dis-tu quand tu parles avec tes amis du PS?"

Bernard Kouchner: "La gauche critiquerait Chirac d'avoir voté la résolution, blabla, nécessité démocratie en Irak, blabla"

Le mot de la fin sera d' André Glucksmann : " L'attitude de la France est scandaleuse! La France joue la carte de la chute de Bush! La France est faite pour s'entendre avec Poutine: le score de Poutine aux présidentielles a presque été aussi grand que celui de Chirac en 2002. Ou est ce le contraire ?

RIRES

*Chroniqueuse à La Minute du Sablier

*

Pascal Bruckner :

Mais pourquoi diable publiez vous dans la minute du sablier?Si vous ne
supportez aucun discours critique sur l'Amérique de BUSH,si vous avez vis a
vis de Washington la meme dévotion que les vieux staliniens avaient vis a
vis de Moscou,alors le Cercle de l'Oratoire se transformera en secte
stérile.

Il est stupéfiant de constater à quel point les défenseurs inconditionnels de Rumsfeld et cie ignorent tout de la société américaine et ne connaissent meme pâs le débat qui fait rage aujourd'hui outre atlantique sur les causes et les moyens de cette guerre.

J'ai personellement trouvé Kouchner très bien et souvent assez faibles les objections qui lui étaient adressées.Kouchner a sur la plupart de ses contradicteurs un double avantage:il connaît l'Amérique et il connaît l'Irak.

*

LSA Oulahbib :

Le fait de contredire Kouchner, sur certains points, ne veut pas dire que le Cercle de l'Oratoire doit se transformer en béni-oui-oui... De même le fait que vous trouviez faibles les objections envers certaines positions de Kouchner ne signifie pas que ces critiques soient automatiquement à ranger du côté des arguments qu'agitent les Rumsfeld et Cheney, clan à courte vue, et à la stratégie bien différente de celle des néo-co qui vise à briser l'alliance établie depuis la 1ère guerre du Golfe entre le nationalisme arabe et l'islamisme radical.

Même s'il n'y a pas de preuves formelles de celle-ci pour le 11 septembre, il n'empêche que les preuves d'allégeance idéologique du Baathisme à l'islamisme sont, elles, clairement réelles.

Que Bush ait plutôt tranché en faveur du clan texan est critiquable, de même que ses erreurs sur le terrain, mais que l'on rejoigne l'hallali contre lui en profitant de mettre ainsi en cause l'idée même de l'intervention, revient à ne pas comprendre qu'il ne s'agit pas ici en Irak de démettre un tyran, mais d'empêcher qu'autour de lui se cristallise une force de frappe susceptible de faire basculer toute la région jusqu'à l'Afrique du Nord dans la guerre contre la démocratie, c'est cela l'enjeu, semble-t-il...

*

Teresita Dussart :

J'ai pour ma part apprécié le côté tonique et finalement assez exhaustif du billet de Jane et ce bien que le parti pris soit évident. Mais l'exercice de style le permet. Elle ne rend pas compte en quoi certaines de ces "erreurs"  plombent effectivement la réussite de l'opération.

Je pense ici notamment à l'une des la plus graves selon moi, l'ouverture des frontières et singulièrement avec l'Iran, ce qui a permis l'infiltration de milliers si ce n'est de dizaine de milliers de Pasdarans et Gardiens de la Révolution, quitte à déséquilibrer le rapport de force sur place. Mais au demeurant, cela ne faisait pas partie du catalogue des erreurs tel que listées par B.K.  

Pour éviter ce genre de malentendu, il eut été nécéssaire de préciser qu'il s'agissait d'un billet. Je considère pour le reste que c'est plus que recevable comme argument le fait qu'il faille éviter de tomber dans l'écueil du tout idéologique.

*

William Doukhan :

Chacun peut émettre toutes les critiques qui lui semblent justifiées selon sa sensibilité, ce que je trouve choquant, c'est le manque d'humilité des uns et des autres. En dehors du fait qu'une dictature a été balayée et qu'il est suspect de ne pas s'en réjouir,  en dehors du fait que le 11 septembre est un évènement majeur dont les répercussions se feront probablement encore sentir lorsque tous les artistes qui occupent présentement la scène auront disparus, qui peut prétendre avoir suffisamment de recul pour statuer sans craindre de se tromper sur les errements et les réussites de chaque camp ?
 
Si l'on considère que la guerre sur le terrain est déterminante, l'expérience prouve que c'est la guerre psychologique qui est décisive. Les véritables enjeux restent flous, pétrole, pas pétrole ou pas seulement pétrole, nous avons entendu, tout, son contraire et n'importe quoi. Bravo à ceux qui savent ! Idem pour les ADM: Vrai, pas vrai, si peu vrai, faux, qui est à l'abri d'une information qui pourrait remettre en cause ce qu'il tient pour acquis ? La désinformation s'est tellement surpassée en France que plus rien n'est crédible. L'étonnement offusqué des journalistes confrontés à cette affirmation me donne chaque fois l'envie de partir d'un immense éclat de rire.
 
S'agissant des hommes politiques, je crains de devoir dire qu'ils ne m'inspirent aucune confiance. La ligne du parti qu'ils veulent séduire et l'ambition personnelle qui les animent délimitent presque toujours la surface de manœuvre sur laquelle ils sont autorisés à déployer leurs talents.
 
Il suffit de dire que la France ne s'est pas privée de faire dans le pathétique pour être considéré comme un pro-américain. Je veux dire par là qu'au-delà des intérêts bien compris de notre pays, nous nous sommes trop ridiculisés par l'anti-américanisme aussi primaire qu'infantile qui a férocement déferlé dans le but par trop évident de promouvoir le 'prêt à penser' bête et méchant. Ce sont les Français qui ne sont pratiquement jamais sortis de leur trou qui vous expliquent mieux que personne combien Bush et l'Amérique sont haïssables. J'aurais pensé que, dans des situations où la paix du monde est aussi gravement menacée, nous aurions fait preuve de plus de maturité et d'intelligence.
 
J'ai toujours adoré les westerns parce qu'ils sont un défouloir qui autorise l'assoupissement le temps de digérer après un bon repas. Ce n'est pas pour autant que je vois des indiens et des cow-boys partout.
 
Oui, il faut rendre aux Irakiens leur indépendance et leur liberté le plus tôt mais, ce dont je suis à peu près sûr, c'est que ceux qui revendiquent à leur place se foutent royalement de ce peuple comme de la morale.
 
J'ai souvent l'impression que plus les bonnes âmes se préoccupent du bien être de la 'nation arabe', plus l'intelligence des peuples 'Arabes' est grossièrement insultée.

*

Simon Pilczer :

Tout d'abord, Bravo à Jane Benigni pour son compte-rendu où l'humour n'est pas absent.
 
Il me fait regretter de n'avoir pas assisté à cette soirée, où tant de personnes de qualité se sont exprimées, certaines maniant apparemment les belles envolées stériles à un défaitisme de bon aloi du côté de la rive gauche caviar de Paris.
 
A-t-on oublié que le but noble et indiscutable de la guerre d'Irak était de débarrasser la planète de l'un de ses tyrans les plus sanguinaires ?
 
Que les déclarations officielles du 1er secrétaire du P.S. lors des cérémonies commémoratives du 60ème anniversaire du débarquement allié en Normandie, critiquant l'Amérique d'aujourd'hui en lui rappelant celle de 1944 sont tout simplement indignes.

L'intelligentsia française est imbibée de bien-pensance pacifiste dans un monde dangereux, ce qui la conduit à une attitude honteusement munichoise dans le confort douillet des terrasses du café de Flore.

Le lapsus de Bernard Kouchner, souligné ci-dessus, montre combien cet homme de valeur est pétri de clichés, de réflexes pavloviens en politique, et notamment sur la démocratie en Israël.
Et comme le souligne le compte-rendu, "donner un coup de griffe à Israël, ça ne mange pas de pain".
Peut-être même M. Kouchner pense-t-il que ça doit plaire à tous les publics ? Grave erreur pour qui prône l'équité !
Ce n'est pas à lui qu'on apprendra les très lourdes insuffisances dans les domaines du respect des Droits de l'homme et de la démocratie dans l'ensemble du monde arabo-musulman.
 
Quant à M. Pascal Bruckner, revenu de ses positions pro-américaines d'avant la guerre d'Irak en mars 2003, après la révélation des tortures à la prison d'Abu Ghraïb, dans un article qui a fait une tempête dans le verre d'eau de la rue Claude Bernard, il peut bien critiquer le cercle de l'Oratoire. Lucien Samir lui a suffisamment répondu.
Ce n'est pas ici le lieu de discuter les causes profondes et multiples du retard du monde arabo-musulman vis-à-vis de la modernité.
 
Contentons-nous de suggérer tout-de-même que leur livre saint, le Coran, servant de base à bien des constitutions de pays arabes, aussi bien en Droit civil qu'en Droit pénal, mais aussi comme modèle de pensée, d'éducation à la connaissance par coeur et figée, et comme modèle de développement, interdit tout droit de critique d'une virgule de la "révélation divine" par le "sceau des prophètes, Mohamed" : celui-ci s'arroge le droit d'invalider ses prédécesseurs quand cela l'arrange.
Cette attitude des fidèles vis-à-vis du Coran induit un immobilisme et une sclérose de la société musulmane, où le pouvoir ne peut se maintenir que par la force et la contrainte.
 
Ainsi en terre d'Islam, les rôles sont bien partagés : aux religieux d'enseigner la soumission à Dieu, et surtout au pouvoir temporel. Au Pouvoir temporel d'affermir sa poigne sur le peuple des croyants bien mis en condition par le pouvoir spirituel.
Et dans certains pays, tels l'Iran, ou récemment encore en Afghanistan, la catastrophe est à son comble quand ce sont les religieux qui détiennent à la fois le pouvoir spirituel et temporel.

Comme ce fut le cas en Europe, au Moyen-Âge : vous avez remarqué à ce stade comme la réputation de cette période de notre histoire est lumineuse. C'est après la "Renaissance" que vont survenir les "Lumières"...
Eh bien ce que nous promettent les islamistes, c'est le retour à cet âge d'or là: les ténèbres, cela vous tente ???
 
On peut affirmer que l'Islamisme porte le totalitarisme comme la nuée porte l'orage.
 
Et, en termes médicaux, l'islamisme doit être considéré comme le métabolite actif et délétère de l'Islam : autrement dit, là où l'Islam est minoritaire, il se voit contraint de composer (Hudna = trêve). Mais s'il se sent capable de prendre le dessus, la stratégie change : le djihad dans le Dar el Harb (territoire de la guerre) est un devoir du croyant musulman.
Et comme la mort en martyre (shahid) pour l'expansion de l'Islam dans le monde est promise aux plus hautes récompenses, la vogue des attentats suicides par des islamikazes ne doit ni nous surprendre, ni nous laisser espérer qu'elle pourrait passer comme une mauvaise fièvre.
 
Une génération entière de jeunes islamistes a été éduquée, endoctrinée, lessivée de la cervelle plutôt, dans des medersas et des écoles coraniques à travers le monde musulman (Pakistan, Afghanistan, Indonésie, Iran, Turquie, Égypte, Arabie saoudite, Palestine, Maroc, Algérie...).
 
Nous n'aurons probablement pas de trop de toute une génération pour redresser la barre, ou bien d'accepter de voir le monde plonger dans l'obscurantisme d'une religion totalitaire, figée, haineuse à l'égard des Juifs surtout, mais aussi des Chrétiens, de tout ce qui est différent.
 
Et pour des Voltairiens qui se souviennent de l'affaire Calas, cela devrait éveiller une révolte salutaire.
Rappelez-vous le superbe mot de Voltaire : "Je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur, mais je me battrai pour que vous puissiez exprimer votre opinion".
 
Regardez bien  dans le monde arabo-musulman : a-t-on le droit à la critique des puissants ?
Ex : l'affaire toute récente du directeur du journal le Matin d'Alger, M. Benchicou, jeté en prison pour deux ans pour avoir osé critiquer le "président Bouteflika", champion de bourrage des urnes.
 
A-t-on ler droit à une pensée créative, donc forcément critique de l'existant ?
Non, on ne peut que répéter à l'infini l'existant, et reproduire ce qui a déjà été fait : d'où le constat fait par des intellectuels du monde arabe dans deux rapports successifs rendus à l'UNESCO en 2002 et 2003, sur la pauvreté de la création intellectuelle dans le monde arabe : le Coran étant le modèle de littérature ayant atteint la perfection du divin, pourquoi voulez-vous qu'un simple humain s'essaie à rivaliser ? Impossible !
 
Perdons les illusions d'un âge d'or de l'Andalousie où l'Islam de paix et de tolérance aurait régné paisiblement sur la péninsule ibérique et l'Afrique.
Lisez Bat Ye'or, lisez les historiens sur l'époque : c'était la terreur de la pensée unique, l'humiliation des dhimmis chrétiens et juifs, l'esclavage élevé par les Arabes au rang de commerce international.
La population entière vivait dans l'arbitraire de la peur du tyran et de ses seïdes.
Et Saddam Hussein est un modèle contemporain de cers "princes des Mille et une Nuits" qu'on voudrait nous vendre aujourd'hui comme un conte de fée.
 
Attention, de même qu'une mystification peut en cacher une autre, un totalitarisme peut en cacher un autre !

*

Norbert Lipszyc :

Je voudrais réagir ici et apporter ma contribution au dialogue qui s'établit suite à la réunion du cercle de l'Oratoire (à laquelle j'ai assisté) dans laquelle Kouchner a parlé. J'assiste régulièrement à ses réunions depuis assez longtemps, et je dois dire que les réactions suscitées par Kouchner ont été violentes par rapport aux débats qui s'y mènent habituellement. Je pense que l'arrogance de Kouchner en a pour beaucoup été la cause.

Le problème n'est pas la critique de la politique en Irak qu'il émet, beaucoup sont d'accord sur le fait qu'on aurait pu mener mieux cette après-guerre. Le problème a été son affirmation "tous des cons et des racistes dans le camp de Bush". Il a reconnu ensuite que dans l'entourage de Bush il y avait diverses écoles de pensée ou d'approche, et que Bush n'a pas toujours choisi l'opinion des meilleurs. Le deuxième problème a été le tableau "tout noir" qu'il a tracé de la situation en Irak, qui ne reflète que la myopie des médias français et la stupidité du quai d'Orsay.

Dans une audience où la connaissance est plus nuancée, comme l'ont montré tous les intervenants après Kouchner, son discours politicien était très mal venu.
Kouchner a d'ailleurs reconnu vite son erreur, car il est intelligent, et il a fait preuve ensuite d'une grande modestie.

Cela dit, son premier discours montre à l'évidence à quel point le monde politique français est nombriliste et fermé au monde puisque le plus lucide et l'un des plus intelligents des politiciens français arrive à énoncer devant une audience intelligente de telles contre-vérités.

Dernier point. On ne force pas la démocratie sur une population qui n'en veut pas. Ceci est la doxa à la mode chez nos leaders d'opinion. Elle est peut-être vraie. Mais ignorer la démocratie qui s'installe sur le terrain en Irak, sous l'égide, pas assez efficace, des Américains, et leur respect de la souveraineté de l'Irak, n'est pas faire preuve d'intelligence politique.

La seule politique intelligente face à cela serait de dire "allions-nous avec les Américains pour les aider à faire mieux". Comme l'a conclu Glucksmann, le gouvernement français prend le chemin de vouloir favoriser l'échec en Irak pour pouvoir se poser en égal des Américains. Par sa diatribe Kouchner a semblé participer de cette approche, d'où le tollé qu'il a soulevé chez certains, même auprès de ceux qui pensent que Bush a fait beaucoup de conneries. Au moins il a agi et la situation actuelle, si dramatique soit-elle, est nettement meilleure que la précédente POUR LES IRAKIENS.
 
Remarque pour Mr Bruckner. Vous affirmez que Kouchner connait les Américains. Sa diatribe sur les "droits de l'homme absents du discours américain" montre qu'il n'a pas appris comment fonctionne la société là-bas. Le vocable "droits de l'homme" est très peu usité en Amérique où on parle en général de liberté et de démocratie pour dire la même chose. Donc il y a eu erreur d'interprétation de sa part. (J'ai vécu des années aux US, je suis bilingue, et je continue à suivre ce qui se publie et s'écrit là-bas). Une référence de poids par exemple : lisez Alan Dershowitz et voyez le vocabulaire qu'il utilise.

*

Bernard Corcos :

Nouveau venu au Cercle de l’Oratoire, puis-je tout d’abord saluer l’initiative d’un tel débat de citoyens du monde, assis côte à côte pour s’écouter et cherchant à s’entendre. Vous faire part aussi de l’honneur et du plaisir que j’ai ressentis au contact d’esprits brillants et de cœurs vaillants, quelles qu’aient été leurs orientations. Les esprits et les cœurs s’enflamment quelquefois et cela est après tout bien heureux. Car ils brûlent du même feu de la volonté de comprendre et d’influer, à sa mesure d’homme, sur la marche du monde.

Ceci dit, permettez-moi de m’immiscer dans ce débat. Jane Benigni a fait preuve, me semble-t-il, d’une certaine témérité dans la formulation du titre de son article. Au-delà de l’effet de style, j’ai cru y percevoir la remise en cause simple et définitive des propos de Bernard Kouchner et de la critique de la tournure qu’a pris l’intervention américaine en Irak. Or, si celle-ci était une nécessité, il demeure vrai que l’armée américaine y a cumulé un certain nombre d’erreurs, parfois grossières, tant des points de vue stratégique et tactique que communicationnel.

Condamner cette guerre pour ces dommages “collatéraux”, évidemment. L’idée d’un seul civil mort de plus, tombé sous une balle ou une bombe de ceux venus sauver, fait horreur. Mais quoi ? Il n’y a pas de guerre sainte, il n’y a pas non plus de guerre propre. Pour ma part, je continue de penser que, d’un certain point de vue au moins, et pour nombre d’Irakiens, cette guerre a – aussi – été libératrice.

Lucien dit que cette guerre avait pour but d’ “empêcher qu'autour de [Saddam Hussein] se cristallise une force de frappe susceptible de faire basculer toute la région jusqu'à l'Afrique du Nord dans la guerre contre la démocratie”. Certes. Il faudra encore – notamment – considérer le cas terrible du Pakistan, celui du Yémen et évidemment, enfin ! celui du Soudan.

Et il y a l’autre côté. Il y a les porte-parole de la diplomatie américaine. Il y a Condoleezza Rice qui se trompait en affirmant que “l’armée américaine n’est pas là pour aider les enfants à traverser la rue”.

Sur ce point, encore, Bernard Kouchner a eu raison : libérer une nation, s’il l’on y reste ensuite pour apaiser et sécuriser, c’est aussi prendre la main des enfants et celle des vieillards pour les aider à traverser la rue.

C’est aussi empêcher le patrimoine national d’être pillé, c’est aussi ne pas démobiliser l’armée en masse sans solde mais la reprendre en main en installant à sa tête de nouveaux supérieurs irakiens issus de l’opposition démocrate, il y en a. C’est ce que l’Europe, dans une re-internationalisation de l’avenir irakien, peut – et doit – encore essayer de faire. Je n’ai pas entendu autre chose dans les propos de Bernard Kouchner. Quant au coup de griffe porté à Israël, très sincèrement, je ne l’ai pas ressenti. Peut-on me le rappeler ?

Qu’on se rassure, enfin. Ni Bernard Kouchner, ni Pascal Bruckner, ni les critiques éclairés de la tournure que prennent les événements en Irak, ne penseraient un instant proclamer “Bush–Bin Laden, même combat !” comme on l’a pourtant souvent entendu, en France et dans le monde.

Que diable fera-t-on” la prochaine fois avec Kouchner ? Continuer de discuter, ne pas s’enfermer dans ses certitudes, lui demander par exemple s’il n’est pas extrêmement risqué de croire que Moktada Sadhr souhaite établir en Irak autre chose qu’un régime islamiste au moins aussi tyrannique que le régime de Saddam. Cet Irak où, les Etats-Unis partis et lorsqu’il faudra de nouveau fédérer les esprits, l’on cherchera à rétablir dans son rôle d’ennemi commun le triptyque traditionnel à haïr: les Etats-Unis, Israël et l’Occident.

*

Jane Benigni :

J'ai le regret de n'avoir pas pris de notes sur le discours de Bernard Kouchner, et la raison en est que j'ai privilégié l'écoute, ce qui prouve que je suis capable de supporter la critique de Bush.

Mais devant autant de remarques négatives, rappelant étrangement la couverture médiatique réductrice de France2, j'ai voulu ,en rapportant le plus fidèlement possible les interventions , photographier la diversité des suggestions , plus positives malgré le pessimisme et les craintes de chacun.

J'ai vu dans ces réactions davantage de projections dans l'avenir, de mises en garde, d'inquiétudes et d'engagement véritable que de simple objection aux idées de Bernard Kouchner.

Je ne me souviens pas qu'il ait établi un véritable dialogue avec les personnes qui sont intervenues de façon concrète.

C'était donc, non pas un billet, mais une galerie d'opinions, et si la mienne , que j'assume, y transpirait, rassurez vous, je ne représente que moi-même.

*

Daniel Leconte :

Je partage avec Kouchner " l'étonnement " devant l'impréparation américaine dans l'affaire irakienne. Mais je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'a dit Kouchner sur le sujet.

Je crois en particulier qu'il est bizarre, quand on a soutenu un droit d'ingérence en Irak, de ne pas intégrer l'idée que les choses ne se passent pas tout à fait comme on le souhaite. Bizarre aussi de découvrir que ce droit d'ingérence appliqué par Bush n'est pas tout à fait le même que le droit d'ingérence rêvé par Kouchner; Et d'en conclure implicitement que Chirac avait raison puisqu'il avait prévu ce qui est en train de se passer. C'est un peu comme tous ceux parmi les partisans de l'intervention en Irak qui prennaient leurs désirs pour des réalités et qui venaient nous dire en gros que si Bush ne savait pas pourquoi il intervenait en Irak, eux le savaient.

Je trouve aussi bizarre d'être à ce point péremptoire sur le bilan alors que c'est probablement sur le long terme que ces choses-là se jugent.
Mais en même temps, je ne comprends pas très bien pourquoi ces réserves normales ne devraient pas être débattues entre "amis". Même avec vigueur.

Je me rappelle que l'attitude courageuse de Kouchner au moment de l'intervention (le seul à gauche) a été pour moi un moment fort et même une divine surprise. C'était un espace ouvert qui perturbait un peu la petite musique consensuelle qu'on déversait alors dans les têtes. Il fallait du panache pour le dire à l'époque. Il nous faut pas, je crois, oublier cela. Cela, entre autre, lui donne le droit de dire ce qu'il dit aujourd'hui. Même avec vigueur.   

*

François Medioni :

La réaction de Bernard Kouchner n'est sur le fond pas étonnante. Il a certes été en faveur du renversement de Saddam Hussein mais il a toujours été de cette gauche anti-occidentale. De plus, il manifeste l'habituel arrogance des élites françaises. Son positionnement anti-américain n'est pas étonnant.
 
Le débat concernant l'anti-américanisme me semble devoir être recadré. En effet, la réaction Pascal Bruckner a orienté le débat dans un sens qui me paraît erroné. Reprenant l' "argument" que le "journaliste" Edwy Plenel a développé pour essayer de contrer Alexandre Adler, Pascal Bruckner affirme que les pro-américains seraient des sortes de staliniens rejetant toute critique.
 
En réalité, cette affirmation péremptoire est de style stalinien car elle est chargée d'une accusation violente qui anéantit la possibilité de dialogue.
 
Il faut reposer le problème au départ puisque tout découle des positions respectives des acteurs durant l'avant-guerre.
La droite chirakienne s'est opposée à cette guerre pour cinq raisons principales:
1) La "politique" arabe de la France et la volonté de marquer des points sur la scène arabe
2) L'argent arabe versé aux politiques français et les dossiers qui sont derrière
3) L'anti-américanisme pathologique de la droite gaulliste basé sur l'envie et le ressentiment du loser (la France n'est plus une puissance)
4) L'arrogance et l'incompétence stratégique du leadership français
5) La peur panique des arabes
 
La gauche s'est opposée à cette guerre pour des raisons étonnamment identiques:
1) L'argent arabe versé aux politiques français et les dossiers qui sont derrière
2) L'anti-américanisme pathologique de la gauche basé sur l'envie et le ressentiment du loser (les yankees ont liquidé leurs amis de l'Est et le capitalisme "libéral" détruit leur idéologie "progressiste")
3) L'arrogance et l'incompétence stratégique du leadership français
4) La peur panique des arabes
 
Partant de ses prémisses, ces deux composantes se sont alliées pour tuer tout débat rationnel en France sur la guerre d'Irak et ont surtout commis l'erreur tragique de mentir grossièrement pour légitimer leurs positions illégitimes et pour pouvoir défendre leurs amis indéfendables.
 
Les évènements ont démontré de manière flagrante que ces mensonges (l'Irak nouveau Vietnam, l'armée américaine va être laminée, ...) étaient totalement erronés. Les menteurs sont donc contraints de s'enfoncer plus encore dans le mensonge pour dissimuler leurs "errements" antérieurs.
 
Mais il y aussi un autre point. Nombre de ces gens pensent qu'ils pourront se refaire auprès des américains si Bush est battu par Kerry. Ces "connaisseurs" des américains s'illusionnent une fois de plus. De plus, la gauche craint particulièrement George Bush car elle pense, probablement à juste titre, qu'une longue présidence Bush aura le même effet destructeur sur son idéologie que la présidence Reagan.
 
Toutes ces raisons ont amené ce beau monde a lancer une campagne de dénigrement ridicule sur les "erreurs" des américains. A entendre ces braves gens les américains sont des crétins qui se trompent sur tout, alors qu'eux auraient le "savoir-faire". Au vu de ce qui se passe en Côte d'Ivoire cette prétention est très loin d'être fondée.
 
Les américains ont bien entendu commis des erreurs en Irak parce que tout le monde en commet. Ils ont d'ailleurs aussi commis en France à la Libération. Ils ont remis le pouvoir à l'autoritariste mégalomane et mythomane De Gaulle et aux communistes. La plupart des problèmes actuels de la France sont imputables à cette erreur américaine.
Je pense que personne d'entre nous ne conteste le fait que les américains aient commis des erreurs mais ce que dénonce Jane fort justement est cet acharnement dénigreur qui s'habille de la perversion sémantique de la critique.
 
Il faut regarder les choses en face, le danger de l'extrémisme arabo-musulman est réel. Ce n'est pas un sentiment de danger comme voudraient le faire croire les négationnistes. Les américains ont le mérite de réagir comme il convient en affrontant le problème. Lors de la célébration du D-Day, George Bush a dit un journaliste français que le terrorisme ne pouvait pas être vaincu par des bons sentiments et des discours. Je ne suis pas étonné que les "médias" français n'aient pas relayé cette évidence.
 
Un dernier point, bravo au Cercle de l'Oratoire pour l'organisation de ce débat qui mériterait de l'être dans les "médias" nationaux.

*

Alain Tanugi :

POUR MOI PASCAL BRUCKNER A RAISON, ON PEUT ETRE PRO US ET ACCEPTER QU'ILS SE  DEBROUILLENT ASSEZ MAL, KOUCHNER NE DIT PAS BEAUCOUP PLUS.

*

Marianne Bourgeois :

Pascal Bruckner emploie pour approuver Bernard Kouchner le même ton que lui, un ton qui me paraît peu digne d'eux. Traitant toujours l'autre de con. Et voilà que les malheureux qui ont osé trouver Kouchner et son hallali contre Bush fort décevant et conformiste se font traiter de noms d'oiseaux, bornés comme des stals, beni oui-oui, mal informés, dévots... Diable. Il faut être décidément très masochiste pour se rendre à l'Oratoire...

Je m'incline certes devant la connaissance de terrain de Kouchner, mais d'autres l'ont. La lecture d'Irak, an I m'a personnellement beaucoup plus apportée que la soirée incriminée. Textes très documentés, fort peu dévots et méritant meilleure réponse qu'une prise de position systématique et politicienne: tout ce que fait Bush est idiot puisque c'est la droite, tout ce "qu'aurait" fait Kerry ou un autre de la "gauche" américaine, aurait été forcément mieux, c'est cette argumentation qui me semble faible.

Je ne suis vraiment pas une inconditionnelle de Bush, mais je croyais avoir compris grâce à Glucksmann que l'enjeu était de "prendre Bagdad pour geler Riyad" et empêcher la cristallisation autour d'un leader tyran d'une force de frappe anti-démocratique comme le rappelle LSA Oulahbib ?

*

Pascal Bruckner :

Pour continuer sur ma lancée et sans vouloir alimenter une polémique ou
blesser qui que ce soit,je crois que le Cercle de l'oratoire aurait tort de
se focaliser sur la défense d'un bilan forcément positif.

Dans l'état actuel des choses nous ne persuaderons personne,même si du mieux est apparu en Irak depuis la chute du tyran.Le temps seul nous rendra justice, s'il doit le faire, mais pour l'heure nous devons nous attendre a des épisodes tres
durs.

Reconnaitre les erreurs de la coalition,ce n'est pas épouser le point
de vue pacifiste,c'est d'abord être honnete avec nous mêmes et avec notre
propre engagement.Aucun de nous ne s'attendait à un tel désastre,près d'un
an apres la chute de Bagdad.

Il faut céder sur quelques points pour ne pas lacher sur l'essentiel.Pareillement,en ce qui concerne l'administration Bush,nous devrions avoir, me semble-t'il un rapport plus dépassionné envers elle:quand une équipe fait faillite,on la remplace,c'est un point de vue pragmatique.

Qu'une bonne partie du camp républicain,notemment le sénateur Mc
Cain, s'éloigne du président actuel devrait quand meme nous éclairer.En
d'autres termes ne fétichisons pas un homme ou un gouvernement.

C'est d'ailleurs le point de vue de Paul Berman qui a toujours dit sa répugnance
pour Bush mais l'a pensé apte a mener le combat antitotalitaire pour la
période présente.Berman soutient aujourd'hui Kerry qui partage sur le sujet
beaucoup de nos options.
Autrement dit,ne soyons pas plus royalistes que le
roi:notre travail est ici de convaincre l'opinion,le chantier est immense
et les faits pour le moment ne nous sont pas favorables.L'admettre,ce n'est
pas démissionner.

Amitiés à tous. 

*

Bertrand Lebeau :

Chers amis,
 
Quelques remarques sur le débat qui nous anime. Ce qui me désole le plus, ce n'est pas que le consensus n'existe plus entre nous, c'est que nous n'ayons pas l'occasion de nous réunir pour mettre à plat nos divergences et rechercher ensembles la vérité. Aujourd'huii, dans notre petit microcosme, il y a, je personnalise à dessein, la position défendue par Pascal Bruckner, la position défendue par Pierre Rigoulot et un "marais" qui ne sait quoi penser.
 
Je pense, comme Bruckner, que le compte-rendu de l'intervention de Kouchner était partial et trop systématiquement à charge. Nous ne pouvons oublier qu'il a été un des très rares politiques à ne pas suivre l'opinion de plomb qui fait l'unanimité en France. S'exprimant devant nous, il a, je l'espère, supposé que nous tenions pour acquis le fait qu'il n'était pas anti-américain et s'est "lâché". Son expression publique est plus prudente et moins systématiquement négative. On ne peut l'oublier.
 
Mais ce qui m'inquiète beaucoup, c'est ce que pense Antoine Basbous. Depuis que je vais aux réunions de l'Oratoire, j'ai pu constater combien ses analyses étaient lucides. Dés les pillages de Bagdad, il y a un an, il ne comprenait pas pourquoi les Américains laissaient faire. Il a immédiatement considéré comme une lourde erreur la dissolution de l'armée irakienne et l'impossibilité dans laquelle étaient désormais les Américains de contrôler les frontières du pays. Aujourd'hui il redoute que les Etats-Unis se lassent et plient bagage tandis qu'une guerre civile aurait lieu entre sunnites, chiites et kurdes. Son inquiétude m'inquiète.
 
Pour le reste, je m'interroge, depuis des mois sur l'administration Bush. Je me suis forcé à lire (et à critiquer) les intellectuels français, comme Todd ou Julliard précisément pour les mettre à l'épreuve de mes propres croyances. Je passe mon temps à osciller entre l'idée que ce n'est pas maintenant qu'il faut se désolidariser des Américains et cette autre idée, bien détrangeante, que l'administration américaine est dirigée par des idéologues plutôt fous et irresponsables.

La lecture du livre de Ron Suskind ("Le roman noir de la Maison-Blanche", Saint-Simon) fait pencher la balance vers cette seconde option. Le livre évoque les deux années que Paul O'Neill a passé au secrétariat d'Etat au Trésor et les circonstances dans lesquelles il a été amené à démissionner. Il y est surtout question d'économie et de finances et très peu de l'Irak. mais on sort de la lecture de ce livre avec le sentiment que Bush est entouré d'une garde prétorienne d'idéologues, que les "faits" sont facilement balayés d'un revers de main et que le Président n'est pas à la hauteur. Or le livre a été écrit par Ron Suskind avec le soutien de O' Neill, qui a mis à sa disposition une très grosse documentation.

En novembre 2003, O'Neill redoute que les Etats-Unis, "en déversant une centaine de milliers d'hommes parmi vingt quatre millions d'Irakiens, au beau milieu du monde arabe et d'un milliard de musulmans, ne soient entrain d'attraper un python par la queue". Et il ajoute : "Ils n'ont pas réfléchi à ce qu'ils faisaiernt, croyez-moi" (page 455). Et il se résume ainsi : "Quand vous vous engagez aussi loin que cela, il faut que vous puissiez vous appuyer sur des preuves et des arguments de poids. Si l'action est réversible, ou si les effets qu'elle induit peuvent être effacés en une génération, c'est très différent de ce que vous faites quand vous entraînez le monde au bord de l'abîme. Il n'y a pas de retour de possible".  
 
Nous nous sommes tous posé ces questions. Depuis un an, je passe de périodes de doute et de profond découragement à des moments où je finis par me convaincre que les Américains (et les Irakiens) "vont y arriver". Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'ils agissent bien légèrement devant l'énormité des enjeux et combien une défaite en rase campagne serait désastreuse. Je sais bien qu'il est facile de jouer les stratèges en chambre. Et, pour reprendre l'expression de Kouchner, je ne "bouge pas mon cul", j'assisite aux évènements, je compte les points. Mais il n'empêche : nous avons pris une responsabilité et nous avons besoin de débattre aujourd'hui, ne fut-ce que pour clarifier ce qui nous sépare.
 
Amitié à toutes et à tous.

*