Une passion malsaine

Par Teresita Dussart*

Ce film qui ferait seul reculer de plusieurs décades, si ce n’est siècles, les relations entre le monde juif et chrétien, fait s’affluer les foules. Le gouvernement l’a programmé dans toutes les provinces.

S’il est un pays sans lequel la Passion du Christ déchaîne moins de controverses que de conversions, ce pays n’est autre que la Russie. Chassez le naturel et il revient au galop. Mais le naturel a t-il jamais été chassé ?

De mémoire immémoriale, les orthodoxes non jamais aimé les catholiques. Il est des gens qu’ils aiment encore moins certes, mais la spécificité du traitement réservé aux « papistes » c’est que là où la législation s’est quelque peu ouvert pour l’ensemble des autres cultes, les catholiques sont à peu près considérés comme la secte Falung Long en Chine, accusés de faire du prosélytisme.

Et pourtant, avec le film de Mel Gibson, les Russes se sont trouvés une raison d’aimer ce qui vient de l’Ouest et même, oui même, des Catholiques.

L’archidiacre Maxim Kozlov, personnalité très en vue dans la sphère religieuse avec de très solides entrées au Kremlin a à ce propos déclaré au journal Izvestia : « Le film a déjoué tous mes préjugés et mes doutes. Il est presque étonnant eu égard à l’état actuel de l’industrie du cinéma et de l’état des consciences que ce film soit possible. Je n’aurais jamais imaginé qu’un film aussi sincère et profond revenant aux fondations de notre foi soit possible dans la société occidentale. Je crois que la Passion de Gibson n’est pas seulement un fait de l’histoire du cinéma mais de l’histoire du christianisme. »

Ce que le clergé semble apprécier dans ce film se trouve concentré dans les propos d’une autre grande figure religieuse Veselov Chaplin au Moscow Times. « Dans cette version, le seigneur est moins doucereux ou social que dans les autres versions produites par l’Occident», déclare Chaplin.
« Lorsque je suis sortie du Pouchinski » déclare Féodor, étudiant en relations internationales « j’avais les larmes aux yeux. Que l’on aime ou que l’on aime pas les juifs, le fait est que se sont eux qui ont tué le christ ! »

Flanquée à ses côtés, timidement son amie Hélène s’enhardit et rappelle que ce Jésus est juif, tout comme l’étaient ses disciples. Cette remarque est du plus mauvais effet auprès du nouveau « born again » orthodoxe.

Féodor, à l’image de beaucoup de jeunes russes n’a aucune culture religieuse. Tout d’abord parce qu’il n’a pas grandi dans une famille pratiquante. Ensuite parce que, quand bien même il aurait grandi dans une famille pratiquante, la liturgie orthodoxe repose pour l’essentiel sur la récitation de litanies et rarement sur la lecture de textes bibliques.

L’orthodoxie, et singulièrement l’Eglise orthodoxe russe, comme l’Islam, s’est construite en tournant le dos à la philosophie, à l’historicité de la bible et à son exégèse.

En tout état de cause, Mel Gibson fait se déplacer les foules. Dans un marché cinématographique saturé par les mauvaises copies du marché noir, le public, une fois n’est pas coutume, s’endimanche et passe par le guichet pour remplir les salles. Pourquoi ? Parce que Mel Gibson vient semer sur la terre préalablement labourée de l’antisémitisme par tout un faisceau de partis nationalistes russes.

Le parti du Président, se situant juste un cran en dessus de cet arc rouge-brun, puisque qu’il peut déléguer cette partie de son opinion moins avouable à ses partis de l’opposition de confort comme Rodina (patrie).
Pour Yevgueni Satanovsky, le président de la section russe du Congrès Juif Mondial : « Ce film a été tourné par les héritiers de ces Romains qui se réjouissaient des tortures et des exécutions publiques en Judée il y a 2000 ans. Cette tradition s’est ensuite transporté à la chrétienté. La tradition de la cruauté, de l’inquisition, des pogroms et aussi de chercher des coupables pour ses propres vices. »

Néanmoins, pas question de se replier sur un réflexe communautaire et d’hurler au loup ajoute Satanovsky. « Nous sommes comme les Français après la révolution française, nous nous sommes éloignés de la religion et nous ne nous en rapprocherons pas. »

Cette façon très stoïque d’apprécier les choses n’est pas partagée par tout le monde. Sortis de Moscou, dans de nombreuses régions, nombre de juifs sont contraints de vivre en faisant oublier leur origine confessionnelle.

Sous couvert d’anonymat certains, tels Natalya, admettent que s’ils ne croient pas en la résurgence de pogrom, : « il est néanmoins étonnant de vivre dans un pays où presque un siècle de communisme n’a pas suffi pour tordre le coup à toutes ces c.»

*Ex-correspondante de Radio Classique à Moscou